Macron, les enfants et les écrans

hors antenne
22/01/2024 par l'équipe En Cavale

“ Cher Président,

Merci d’avoir proposé à En Cavale de participer au groupe d’experts qui accompagnera les prises de décision politiques fortes concernant les enfants et les écrans : on a plein d’idées ! ”

Ce mardi 16 janvier, le président Macron a annoncé vouloir faire du sujet de la surexposition des enfants aux écrans une priorité en 2024. Nous n’avons pas été conviées pour de vrai au sein du groupe d’experts réunis par le Président : ce comité scientifique devra faire émerger “une recommandation” d’ici mars, pour permettre au gouvernement de prendre des mesures.

Mais comme vous pouvez l’imaginer si vous suivez les aventures d’En Cavale, à défaut d’y participer, nous pensons que cette réflexion nationale est nécessaire et va dans le bon sens. Depuis 5 ans, on essaie de véhiculer le plus positivement possible l’idée d’une enfance avec peu (voir très très peu, voir pas du tout selon l’âge) de loisirs écran : une enfance En Cavale.

Non pas parce que nous sommes anti-tech, anti-progrès, anti monde moderne.

Mais parce que le temps d’écran, c’est avant tout du temps. Du temps qu’on ne passe pas à faire autre chose – construire une cabane sous la table du salon, tester les limites de patience de mamie, inventer 1000 stratagèmes pour accéder à la boîte de bonbons sur le frigo, ou imaginer un dialogue entre sa fourchette et son couteau.

Le problème quand on s’attaque au sujet des écrans, c’est qu’il est très dur de parler de ça sans être un énorme rabat-joie. De porter cette responsabilité individuelle pour sa famille, pour sa classe, et d’être en permanence l’adulte pénible.

En parcourant les (très) nombreux messages de parents reçus chez En Cavale à ce sujet, on s’interroge plus largement sur les questions de la culpabilité vécue par les familles, la responsabilité institutionnelle sur ce sujet, et la “juste” place des écrans dans la vie des enfants et des familles en 2024.

Alors, voilà un rapide article – sur fond de bonnes résolutions et de décryptage politique.

Bonne lecture !

💡Le témoignage de Martin P., papa des Agents Olouk et Mistigri, 5 ans et 8 ans
”Pour notre fils nous avons tenu bon : pas d’écran avant 3 ans. Mais dès qu’il est entré en maternelle, notre “parfaite” éducation s’est écroulée, entre les petits copains qui avaient libre accès à la TV – et les “outils numériques” proposés en classe, c’est à dire un iPad. Pile quand notre fille est née – pour elle, il a été quasi impossible d’évincer la culture écran, rapportée par son grand frère. On se sent coupables, dépassés, démunis. On ne sait pas où placer la limite, même pour nous les parents d’ailleurs. Qui y arrive ? ”

Si vous vous reconnaissez dans le témoignage de Martin, vous faites partie des 79% des parents français qui se posent des questions, et ne savent pas bien par quel bout prendre le sujet.

Et pour cause. Comme le Président Macron l’a rappelé lors de son discours, la consommation de temps d’écran recoupe de très nombreux enjeux au sein des familles. Comme d’habitude chez En Cavale, on ne propose pas de recette magique aux parents – mais on vous donne ci-dessous quelques pistes d’éclairages sur le sujet, et sur les possibles mesures à venir.

Notre analyse cavalesque :

“Des familles sans mode d’emploi”

Sur la plupart des sujets d’éducation, nous construisons notre façon de faire en lien direct avec ce que nous avons vécu nous, enfant. Nous reproduisons avec plaisir ce que nos parents ont fait pour nous – ou à l’inverse nous créons un modèle très éloigné de celui que nous avons vécu, pour ne pas reproduire des erreurs. Dans tous les cas, notre propre expérience d’enfant nous guide avec puissance dans les choix éducatifs que nous faisons.

Oui mais….

Dans le cas des écrans, nous parlons d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre : un temps révolu où l’exposition écran se résumait souvent à une TV au milieu du salon.

Dans les années 70, 80 et même 90, point de tablette sur le canapé, de jeux de smartphone à porter de nos petites mains, ou de consoles connectées. Nous avons aujourd’hui en moyenne 9 écran par foyer.

Et quand nos parents nous imposaient d’éteindre **L’**écran (le seul, l’unique) pour nous forcer à faire autre chose, la concurrence n’était pas rude : après 09h30 et même pendant les vacances, dès la fin des Mini-Keums ou du Club Dorothée, fini les programmes jeunesses. (On vous laisse faire la comparaison à la multitude de contenus très attractifs pour vos enfants, et disponibles en 2 clicks à toute heure du jour et de la nuit en 2024).

On est donc plutôt très en accord avec la formulation utilisée par le président Macron : nous sommes en 2024 “des familles sans mode d’emploi” sur le sujet des écrans, car nous n’avons jamais vu nos parents faire.

Pire : nous sommes la première génération d’adolescents et de jeunes adultes à avoir eu accès de façon totalement illimitée aux smartphones, au web, au monde virtuel et connecté. Et nous sommes la première génération de parents à avoir eu l’occasion de mettre entre les mains de nos enfants des écrans en voulant le mieux pour eux, avec une seule promesse : celle de l’ouverture et du progrès.

De la responsabilité collective à la place de l’état

Avons-nous été individuellement irresponsables de ne pas anticiper les pendants négatifs de l’entrée fracassante des écrans dans nos vies, pour nous et pour nos enfants ? La réponse est un immense NON.

Nous sommes tous conscients des améliorations énormes que les avancées technologiques ont amenées en moins de 30 ans. Et pour ceux qui auraient eu plus tôt que les autres l’intuition forte que “trop d’écran tue l’écran”, il fallait être très courageux pour trouver une information fiable et sans détracteur avant 2020, à moins de se plonger dans de la littérature scientifique.

Mais si c’est si mauvais pour nous, pourquoi personne n’a tiré la sonnette d’alarme plus tôt ?

Souvenez-vous de la cigarette*.

Acte 1 : La cigarette*, c’est génial. Financées par toute l’industrie du tabac*, des campagnes de pubs massives incitent la population à fumer* pour être cool, se détendre, sans aucune conséquence.

Acte 2 : La cigarette* a des effets sur la santé ? Oui, mais selon des études scientifiques très sérieuses et 100% financées par les industriels, les effets négatifs sont totalement compensés par les effets positifs : ça détend tellement de fumer* que ça éviterait certainement des maladies liées au stress. Pourquoi s’en priver ?

Acte 3 : L’état prend le sujet en main car finalement, la cigarette* coûte très très très cher en santé publique. Les études légitimes sortent. La réglementation se crée. Et les choses se mettent en place dans la douleur pour des générations de fumeurs.

*Remplacez le mot cigarettes par écran, et le verbe fumer par scroller : vous y êtes, bienvenue en 2024.

La comparaison s’arrête là, car contrairement à la cigarette, les écrans sont d’une grande utilité dans nos vies : je vous écris depuis un ordinateur connecté, je me servirai plus tard de mon GPS pour aller chercher ma fille, on écoutera un podcast depuis mon smartphone après que j’ai envoyé une photo d’elle à sa grand-mère.

C’est ici que réside toute la difficulté : où doit-on tracer la limite individuellement entre un usage moderne et utile de nos écrans VS une consommation abusive et délétère ?

“Les constats de terrain comme les études scientifiques convergent. Il est maintenant temps que le législatif prenne le relais. Arrêtons de faire porter la responsabilité individuelle aux parents et soutenons la responsabilité collective de l’exposition des enfants aux écrans par la loi comme le législateur l’a déjà fait pour l’alcool ou le tabac.” soutenait un groupe scientifique dans une tribune du Monde, parue en mai dernier.

Là aussi, on plussoie : réguler sa consommation, c’est bien – mais ça soulage individuellement quand le problème est pris d’un peu plus haut, avec des lois, des limitations claires, et des contraintes positives. Et surtout : ça entraîne de réels changements.

Lorsqu’il n’a plus été possible de faire des campagnes de pubs pour le tabac, la cigarette est devenue moins cool. Et lorsqu’il a été interdit d’ajouter des substances addictives dans les cigarettes, il est devenu un peu plus facile d’arrêter. On pourrait facilement imaginer le même genre de scénario pour les écrans.

La France est-elle en avance sur ce sujet de société et de santé publique ? Pas vraiment, et plusieurs pays ont déjà pris le taureau par les cornes, de façon plus ou moins radicale : la Suède fait marche arrière sur l’utlisation des écrans dans le cadre scolaire, et la Chine impose une restriction d’usage très stricte d’internet et des jeux en lignes aux mineurs

Les enjeux d’une réglementation pour le futur

Depuis plusieurs années, les études scientifiques convergent avec les observations des professionnels de l’enfance sur les enjeux critiques de cette surexposition aux écrans. Le Président Macron les a regroupé ainsi pour les plus jeunes :

  • Un enjeu de santé publique : la santé mentale (capacité cognitive, émotionnelle) et physique (troubles de la vue, problèmes de posture)
  • Un enjeu démocratique : l’accès sans éducation préalable à une source illimitée d’informations altère la véracité de l’information
  • Un enjeu de société : le e-harcèlement et l’accès à des contenus addictifs, violents, pornographiques sont devenus des enjeux majeurs dans les écoles primaires et les collèges

On peut imaginer que nos enfants continueront à avoir accès – avec ou sans autorisation – à des écrans connectés. Alors à quel niveau l’état pourrait agir ?

On imagine que les campagnes de sensibilisation (commencées en 2023) se poursuivront, ainsi que des directives au sein de l’éducation nationale pour éduquer nos enfants à l’utilisation des ressources numériques.

Pour aller plus loin et plus fort, les réflexions du comité scientifiques pourraient mener à des réglementations strictes des différentes industries, avec par exemple :

  • celle des Réseaux Sociaux – avec des limitations ultra strictes de l’usage de procédés addictif pour les plus jeunes cerveaux (likes, notifications, vidéos qui s’enchaînent, gamification et tutti quanti)
  • celle des constructeurs – avec des applications limitantes de contrôle du temps d’écran renforcées pour tous inclus dans les smartphones (adultes inclus)
  • celle de la Pub – avec l’interdiction totale et drastique d’utiliser le temps d’attention des enfants à des fins commerciales

On reprendra la parole pour décortiquer les mesures qui arriveront après Mars.

Mais dans tous les cas et comme pour la cigarette, on est persuadé que changer nos usages va être un véritable challenge individuel même si la législation accompagne le changement en profondeur.

Et puisqu’il est difficile de changer ses habitudes à contre-coeur et sans comprendre les enjeux du changement : n’hésitez pas à interroger vos enfants sur le sujet, à leur demander ce qu’ils aimeraient faire à la place des temps d’écran habituels, à créer un nouveau rythme petit à petit en famille dès aujourd’hui… pour ne pas subir des limitations fermes plus tard.

Chez En Cavale, notre secret, c’est de ne pas regretter les moments écran… et de célébrer tous les moments déconnectés que vous arrivez à passer en famille !


Qu’en pensez-vous ? Est-ce que vous êtes pour ou contre cette prise de position de l’État sur le sujet ? Et est-ce que vous avez le sentiment de gérer, ou au contraire d’être un peu démunis et “sans mode d’emploi” ?

Racontez-nous vos questionnements et vos dilemmes, ça nous intéresse beaucoup – et qui sait, peut-être qu’un jour on aura l’occasion d’en parler à l’Élysée !

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